Jean-Yves Stoquer explique les catacombes de Paris

Les parisiens ont tendance à oublier le fait qu’ils marchent parfois juste au-dessus d’un incroyable ossuaire, des restes d’environ 6 millions d’individus issus d’époques multiples. Ce sont les fameuses catacombes de Paris, qui ont excité l’imagination de nombreux auteurs de fiction et suscitent l’intérêt de nombreux touristes avides de sensations fortes. Pourtant, ce lieu mythique de la capitale est encore méconnu du grand public, et propice aux malentendus. Jean-Yves Stoquer est à la fois passionné par l’Histoire de France et ingénieur dans le bâtiment, et notamment dans les fondations spéciales, il est donc la personne idéale pour aborder ce sujet, fort de l’approche particulière qu’il a du sujet.

Les catacombes de Paris ne sont pas les seules au monde

Il y a bien une raison pour laquelle on parle des « catacombes de Paris », au lieu de se contenter du mot « catacombe » seul : il existe d’autres catacombes ailleurs le monde. Le comprendre permet de comprendre l’étymologie du mot, qui en dit déjà long sur l’histoire de ce lieu si particulier. Ce que l’ingénieur explique très justement, c’est que le terme nous vient d’Italie. De par son métier, il est régulièrement amené à intervenir sur des zones où le sol est instable ou dans des endroits où il faut vérifier qu’il n’y ait rien en sous-sol, comme par exemple des galeries souterraines d’anciennes mines ou carrières. Et c’est précisément ce qui se trouve à Rome, en Italie : on y trouve des galeries souterraines creusées dans d’anciennes carrières, notamment pour exploiter le tuf. C’est une roche que l’on trouve particulièrement dans cette région, qui peut soit désigner le travertin (si la roche est produite dans une eau naturellement réchauffée) ou le tuf calcaire (si la roche se forme dans une eau froide). Le travertin, dont nom vient de ville de Tivoli, est une roche emblématique de la région, qui a servi pour de nombreuses constructions de la Rome Antique : on s’en est notamment servi pour bâtir de fameux Colisée. Ce sont ces galeries qui ont donné le nom de « catacombes », d’après l’expression latine « ad catacombus », ce qui signifie… « Près des carrières » ! Il ne s’agissait donc, à l’origine, que d’un terme pour désigner les galeries qui relaient les carrières souterraines entre elles.

Ces carrières souterraines étaient mises à profit pour creuser des niches dans la roche, mais on les utilisait comme sépultures en Italie depuis très longtemps : dès la Haute Antiquité. On y a ainsi retrouvé des sépultures appartenant à des personnes de différentes origines, des Romains bien entendu mais aussi des Étrusques, ainsi que des personnes ayant différentes confessions, comme des Juifs et des Chrétiens. Mais il n’y a pas qu’à Rome et à Paris (dont le cas sera abordé ensuite) que l’on trouve des « catacombes », quoique le terme ait été parfois usurpé : le passionné d’histoire explique que l’on en trouve dans certaines grandes villes de France. On en trouve par exemple à Lyon, où elles sont fermées au public à cause des risques importants d’éboulement, mais on n’y trouve pas de cryptes et très peu d’ossements, quoi qu’une rumeur de trésor datant de la Seconde Guerre Mondiale ne continue ne circuler. Il y en a aussi à Orléans, sous l’église Saint-Paul, que l’on a découvert après les bombardements allemands dans les années 40. En Italie, la ville de Palerme possède aussi ses propres galeries, avec la représentation de corps momifiés en habits d’époque dans la crypte de l’église des capucins de la ville. Néanmoins, Jean-Yves Stoquer considère qu’aucun de ces sites n’est comparables aux catacombes Romaines, de par leurs dimensions et leur mythe.

L’histoire des catacombes de Paris

Les catacombes de Paris ont suivi un parcours similaire à celles de Rome : d’abord galeries souterraines reliant des carrières entre elles, les Parisiens y ont peu à peu installé de plus en plus de corps, jusqu’à atteindre l’incroyable total actuel de 6 millions de squelettes. Mais bien évidemment, la ville qui se nommait alors Lutèce a eu son propre parcours. D’abord, la roche que l’on y extrait à l’époque : selon le spécialiste des sols instables, c’était du calcaire lutétien que l’on récupérait à l’époque mais, comme pour le tuf de Rome, la demande a explosé durant l’Antiquité, lorsqu’on a vraiment commencé à construire comme les Romains. Les galeries se sont notamment mises en place après avoir exploité les bancs calcaires « à ciel ouvert », notamment dans la vallée de la Bièvre. L’arrivée des cadavres ne date en fait que du Moyen- ge : c’est à cette époque que l’on a commencé à utiliser les galeries existantes et à en creuser de nouvelles pour s’en servir d’ossuaire municipale, une attitude qui a été poursuivie durant la Renaissance et jusqu’au XVIIème siècle. Et c’est là que la quantité de cadavres a vraiment pris une importance considérable.

Retour sur le début de ce XVIIème siècle, pour bien comprendre ce qu’il s’est passé. L’amateur d’histoire décrit la situation des cimetières parisiens de l’époque comme étant critique : plus de places et beaucoup trop de tertres, ces amas de terre recouvrant des piles de corps en pouvant dépasser les 12 à 15 mètres de haut. Or, ces tertres étaient très dangereux pour la santé de la population : les eaux s’infiltraient ruisselaient à travers pour embarquer de nombreuses maladies ou bactéries. La décision a donc été prise de « reprendre » l’ensemble des ossements pour les transférer dans un local approprié : les catacombes ont alors semblé le choix le plus judicieux. Ce sont donc des millions d’ossements qui ont été transférés peu à peu, en plusieurs dizaines d’années. Le passionné d’histoire souligne par ailleurs les méthodes mises en place pour que ce transfert se fasse dans de bonnes conditions, sans perturber l’ordre public. On plaçait donc les ossements dans des charrettes avant de les recouvrir d’un drap noir, et la procession était accompagnée par des religieux qui récitaient des prières et portaient des chandeliers, selon les usages voulus par la chrétienté. La visite des sites ne commencera que durant la seconde moitié du XIXème siècle.

Un peu d’anecdote historique

Comme tous les amateurs d’histoire, notre interlocuteur montre beaucoup d’affection pour les anecdotes, ces petits événements qui se révèlent très étonnants et parfois très amusant. Une de ces anecdotes que l’ingénieur apprécie particulièrement concerne le roi de Prusse de l’époque, le célèbre Guillaume Ier. Ces événements se sont déroulés après la guerre franco-allemande de 1870, un conflit qui, pour rappel, s’est soldé par une cuisante défaite pour la France, après que le chancelier Otto von Bismarck ait assiégé et affamé la ville de Paris. Suite à la défaite française, le roi de Prusse est venu visiter Paris et en a profité pour découvrir les catacombes de Paris, accompagné de son État-Major. Cette visite aurait été accompli, selon plusieurs sources, en un temps record : elle n’aura été en fait qu’une petite mise en jambe, le principal événement devant être la visite de la galerie des glaces du Palais de Versailles. Deux raisons à cela : tout d’abord, ce chef-d’œuvre de l’architecte Jules Hardouin-Mansart est un élément du château magnifique à visiter, tout en étant l’ancien symbole du pouvoir absolu de Louis XIV. Mais surtout, le roi avait choisi cet endroit pour fonder le Deuxième Reich Allemand, également connu comme étant l’Empire Allemand. Un événement capital pour l’histoire du XIXème et du XXème siècle : auparavant, le territoire est né de l’union de la Prusse et de l’Allemagne, auparavant séparées. Cette déclaration de Guillaume 1er était donc très attendue et très importante : l’aboutissement de plusieurs années de plans et de réflexions de la part de Bismarck pour unir les deux régions, et la fondation de l’Allemagne telle qu’on la connaîtra pendant la Première Guerre Mondiale. Le souverain s’est donc permis d’expédier sa visite des catacombes de Paris.

Autre anecdote amusante : au début du XXème siècle, le spiritisme était très en vogue, souvent pratiqué dans les salons de la noblesse ou de la bourgeoisie, en mal de sensations fortes. Or, ceux-ci se sont décidé à organiser un bal pour le jour de la Fête des Morts, à la Toussaint. Hélas, les organisateurs n’ont pas fait preuve du meilleur goût pour choisir le lieu où se tiendrait leur petite fête, à moins qu’il n’ait consciemment voulu enfreindre les règles. La salle qu’ils ont choisie était une grande salle des catacombes, où un autel avait été aménagé pour dire la messe. Quand on sait l’importance que la messe de la Toussaint revête dans la culture chrétienne, on ne peut qu’imaginer l’étonnement et la colère des autorités religieuses à l’idée que la salle où l’office devait être conduite soit utilisée ainsi. Le scandale a d’ailleurs conduit à des sanctions contre le personnel municipal en charge de la gestion des catacombes, accusé de complicité avec les organisateurs de la soirée. Des histoires intéressantes et une explication très pertinente de ce que sont vraiment les catacombes de Paris, voilà ce que nous as offert Jean-Yves Stoquer, qu’on ne peut que remercier pour son point de vue double sur le sujet.